Avant la colonisation, l’île déserte des navigateurs arabes et portugais
Culture & Histoire vivante
🌍 Avant la colonisation : l’île déserte des navigateurs arabes et portugais
Introduction
Dans l’immensité de l’océan Indien, entre Madagascar et l’île Maurice, se dresse un relief volcanique isolé : l’île de La Réunion. Aujourd’hui habitée par plus de 850 000 personnes, elle a pourtant longtemps été une terre sans hommes, une île silencieuse battue par les vents, où seuls les oiseaux marins, les tortues et les forêts primitives régnaient. Avant l’arrivée des premiers colons français au XVIIᵉ siècle, d’autres peuples, plus lointains, avaient déjà croisé son rivage. Les navigateurs arabes, puis portugais, ont inscrit l’île sur leurs cartes, lui donnant des noms, parfois mystérieux, souvent poétiques. Cet article revient sur cette époque où La Réunion n’était qu’un point perdu dans l’océan, entre imaginaire et réalité des grandes routes maritimes.
1. L’océan Indien, carrefour des civilisations
Bien avant que les Européens ne s’y aventurent, l’océan Indien était déjà un espace de circulation. Depuis le Moyen Âge, les marchands arabes sillonnaient les routes reliant la péninsule arabique, la côte swahilie de l’Afrique et l’Inde. Ces échanges ont donné naissance à une véritable “route des épices” marquée par le commerce du poivre, du clou de girofle, de la noix de muscade et de la soie.
Les marins arabes connaissaient parfaitement le jeu des moussons, ces vents saisonniers permettant de naviguer vers l’est durant une partie de l’année, puis de revenir vers l’ouest la saison suivante. C’est grâce à cette maîtrise qu’ils ont pu explorer les îles de l’archipel des Mascareignes (La Réunion, Maurice et Rodrigues), bien avant que les Européens n’en revendiquent la découverte.
Un géographe andalou du XIIᵉ siècle, Al-Idrissi, évoque déjà dans ses cartes une grande île volcanique à l’est de Madagascar, sans doute La Réunion ou Maurice. Plus tard, au XVe siècle, des récits arabes mentionnent une île nommée Dina Morgabin, littéralement “l’île de l’ouest”, par opposition à “Dina Arobi” (Maurice) et “Dina Mozare” (Rodrigues). Ces toponymes arabes témoignent d’une connaissance réelle, même si les navigateurs ne s’y sont pas installés durablement.
2. Les Portugais à la conquête des océans
Au XVe siècle, le Portugal s’impose comme pionnier des grandes découvertes maritimes. Sous l’impulsion du prince Henri le Navigateur, les caravelles portugaises descendent peu à peu la côte africaine, franchissent le cap de Bonne-Espérance en 1488 avec Bartolomeu Dias, puis atteignent l’Inde en 1498 grâce à Vasco de Gama.
Dans ce contexte, les îles de l’océan Indien central deviennent des points de repère, des escales possibles sur la route des épices. Les Portugais croisent La Réunion au début du XVIᵉ siècle et la baptisent Santa Apolonia, en référence à sainte Apolline, fêtée le 9 février, date supposée de sa découverte en 1507 par le navigateur Diogo Fernandes Pereira.
Cependant, les Portugais ne voient pas d’intérêt immédiat à coloniser l’île. Elle n’offre ni épices, ni population à convertir, ni position stratégique majeure par rapport à leurs bases de Goa, Malacca ou Mozambique. Elle reste donc un repère cartographique, mentionné sur plusieurs cartes portugaises du XVIᵉ siècle, mais sans implantation humaine.
3. Une île déserte et mystérieuse
À cette époque, La Réunion n’est habitée que par une faune et une flore endémiques exceptionnelles. Les forêts de bois de couleur descendaient jusqu’à l’océan, les tortues marines venaient pondre sur les plages, et les oiseaux comme le dodo de Rodrigues ou le solitaire de Maurice avaient des cousins aujourd’hui disparus sur l’île.
Les navigateurs qui y firent escale décrivirent une nature exubérante, des rivières abondantes et des paysages volcaniques impressionnants. Mais l’isolement, l’absence de population et la difficulté à y trouver des denrées commerciales faisaient de La Réunion une île secondaire dans la cartographie des puissances maritimes.
Pour les marins arabes comme portugais, elle fut avant tout un repère géographique, une “balise naturelle” au milieu de l’océan, que l’on notait sur les cartes mais que l’on n’investissait pas.
4. Les noms de l’île avant La Réunion
L’histoire des noms donnés à La Réunion reflète ce passage de témoin entre navigateurs arabes et portugais.
Dina Morgabin : nom arabe signifiant “île de l’ouest”, utilisé dès le Moyen Âge.
Santa Apolonia : appellation portugaise du début du XVIᵉ siècle.
Île Bourbon : nom attribué par les Français au XVIIᵉ siècle, en l’honneur de la dynastie régnante.
Île de La Réunion : appellation définitive adoptée en 1793, pour célébrer l’union des révolutionnaires de Marseille et de la Garde nationale parisienne.
Ces changements de nom témoignent de la manière dont chaque puissance projetait son regard et son pouvoir sur cette terre encore vierge.
5. Héritages et mythes de cette époque
Même si les navigateurs arabes et portugais n’ont pas colonisé La Réunion, leur passage a laissé des traces. La toponymie (Dina Morgabin) est encore évoquée dans les ouvrages historiques, et certaines cartes anciennes exposées au Musée Léon Dierx ou à l’IHOI témoignent de cette mémoire.
Dans l’imaginaire réunionnais, cette période alimente l’idée d’une île “hors du temps”, qui aurait pu rester un sanctuaire naturel si l’histoire avait pris un autre chemin.
📌 Encadré : À savoir
La première mention de La Réunion figure sur une carte portugaise de 1510.
Le mot “Mascareignes” vient du navigateur portugais Pedro de Mascarenhas, qui aurait exploré la zone vers 1512.
L’absence d’habitants humains avant la colonisation française est une rareté : la plupart des îles du monde avaient déjà des populations autochtones.
📌 Encadré : Mot créole
“Dina” – mot hérité de l’arabe signifiant “île”. Aujourd’hui encore, les Réunionnais parlent des “îles sœurs” (Maurice, Rodrigues) comme d’un ensemble proche et familier.
📌 Encadré : Où voir ça aujourd’hui ?
Musée de Villèle (Saint-Gilles-les-Hauts) : cartes anciennes et témoignages sur les premiers temps de l’île.
Iconothèque historique de l’océan Indien (IHOI) : plateforme en ligne regroupant cartes, récits et gravures.
Musée de la Marine (Lisbonne) : conserve plusieurs cartes portugaises mentionnant Santa Apolonia.
Conclusion
Avant l’installation des premiers colons français, La Réunion fut d’abord une île silencieuse, connue des navigateurs arabes et portugais mais laissée à sa nature sauvage. Sa découverte progressive illustre les logiques des grandes routes maritimes de l’océan Indien et des empires en expansion.
Ces premiers contacts n’ont pas marqué l’île de manière visible : pas de temples, pas de forteresses, pas de communautés installées. Mais ils ont ouvert la voie à la suite de l’histoire, préparant malgré eux l’intégration de cette terre dans le mouvement global de la colonisation.
Aujourd’hui, se souvenir de cette période, c’est rappeler que La Réunion a d’abord été une île de nature et de silence, un espace vierge que les hommes allaient transformer en profondeur.
Sources
IHOI – Iconothèque historique de l’océan Indien (cartes, gravures, récits)
Toussaint, Auguste – Histoire des îles Mascareignes (Éditions Berger-Levrault, 1972)
Fuma, Sudel – Histoire de La Réunion (Éditions Nathan, 1994)
Université de La Réunion – Laboratoire de recherche sur l’océan Indien
UNESCO – Archives sur le patrimoine de l’océan Indien
Musée de la Marine de Lisbonne – Cartes portugaises du XVIᵉ siècle